samedi 11 mars 2017

L'Antarctique (5/5) : Géopolitique des antipodes

Cinquième et dernier volet d'une série de cinq textes de Didier Schmitt parus dans le quotidien "La Tribune". (cf. première partie ICI, deuxième partie ICI, troisième partie ICI et quatrième partie LA)
Crédit photo : Arnaud LAINE
Les opinions exprimées dans l'article ci-dessous sont uniquement celles de l'auteur.

Les enjeux du réchauffement climatique ont remis l'Arctique au goût du jour, que ce soit pour les voies navigables, les énergies fossiles ou les tensions régionales qui en découlent déjà.
En revanche, on se soucie beaucoup moins de sa sœur jumelle, là, tout en bas de la carte où l'on ne regarde jamais. Pourtant l'Antarctique est au cœur d'un enjeu mondial: l'impérative préservation d'un patrimoine commun de l'humanité.

Un symbole

Le réflexe post colonial a fait que sept pays, dont la France, ont revendiqué une part du gâteau - une tarte au citron meringuée ? - communément appelé à tort « le Pôle Sud ».
Ces revendications sont devenues obsolètes suite à l'année géophysique internationale (1957), qui a vu s'y implanter une quarantaine de bases scientifiques. Ce mouvement salutaire a initié le traité sur l'Antarctique, entré en vigueur en 1961.
Son objectif principal est l'exploration de ce territoire à des fins pacifiques et scientifiques exclusivement. Le protocole de Madrid de 1991 a renforcé cet objectif en désignant l'Antarctique « réserve naturelle, consacrée à la paix et à la science ». Le moratoire sur l'exploitation des ressources minérales ne peut être remis en question avant 2048, et sera difficile à abroger. Mais qui sait quels seront les enjeux géostratégiques dans une génération ? En attendant, d'autres batailles sont d'ores et déjà en cours.

Un continent oublié

Il est facile de se désintéresser d'en tel endroit, aussi grand soit-il, quand les seuls animaux visibles sont les manchots emblématiques et des phoques, vivant sur de minces bandes côtières. Pas étonnant, car le record de température y est de -89°C et un inlandsis - calotte glacière d'une épaisseur moyenne de 2 km - en recouvre 98% des surfaces. Le reste n'est que fleuves de glace et massifs montagneux culminant à 4897 m, coiffant d'un cheveu le Mont Blanc. Les mappemondes faussent notre perception de l'immensité des antipodes: l'extrême nord n'attire pas le regard car la banquise n'a pas de continent sous-jacent, et l'extrême sud nous échappe car il est hors de notre hémisphère de référence.

Les dessous de la carte

Le continent blanc n'est pas oublié de tous pour autant. Son sous-sol, y compris off-shore, regorge potentiellement de charbon, pétrole et gaz naturel, formés avant la dérive des continents. Des velléités d'exploitation commerciale ont déjà été manifestées. La vigilance est donc de rigueur car l'océan Austral est le dernier écosystème marin presque intact de la planète. Heureusement la plus grande aire marine au monde - d'une superficie équivalente au bassin occidental de la méditerranée - vient d'y être créée. Seul bémol: il a fallu d'âpres négociations pour en arriver là et il faudra en renégocier les termes d'ici 30 ans. Mais la France et l'Australie portent déjà un projet similaire de sanctuarisation. Le temps est compté car de nouvelles menaces émergent sur les ressources halieutiques, comme l'augmentation de la pêche du krill, un minuscule crustacé qui est à la base de toute la chaîne alimentaire locale. Il faudra également être très vigilant sur l'augmentation constante du nombre de touristes qui viennent, de plus en plus nombreux, poser un pied sur cette terre vierge, depuis les côtes de la Patagonie.

Une coopération à améliorer

Faut-il le rappeler, il n'y a pas ici d'habitants autochtones; la seule espèce qui s'y aventure est l'homo-scientificus'. Néanmoins, à quelques exceptions près, la coopération entre 'instituts polaires', est encore loin d'une mise en commun de moyens. Des progrès peuvent êtres fait au delà de l'entraide et de la coordination au travers, par exemple, du Conseil polaire européen (EPB) ou des Comité international de la recherche scientifique (SCAR) et Conseil des managers des programmes Antarctiques (COMNAP). L'Antarctique a en effet un énorme potentiel pour devenir un symbole de coopération internationale. Pour cela il faudrait que l'Union européenne s'y intéresse plus. Des projets européens ponctuels ont déjà vu le jour, cependant la fédération des objectifs suivie du co-financement communautaire de moyens opérationnels serait la bienvenue. Un exemple à suivre est un nouveau projet de prospection de glaces ayant plus d'un million d'années et qui réunit onze pays européens et s'étend à l'international.

La convergence des antipodes

Étonnamment, on trouve en Antarctique des analogies avec les futures missions d'exploration de la planète Mars. En effet, les ego nationaux, la compétition technologique, le tourisme spatial, voire l'exploitation de ressources minières pourraient bien 'polluer' une initiative internationale commune. En ce sens, la station franco-italienne Concordia a un énorme potentiel d'exemple à suivre, car elle fait se côtoyer plus d'une dizaine de nationalités. De plus, elle communique déjà avec le cosmos de par ses nombreux programmes directement liés au
spatial. Mais la 'communauté polaire' est loin d'avoir acquis l'aura du spatial alors que le milieu austral est également au coeur de sujets géopolitiques et sociétaux majeurs. Alors à quand une agence polaire européenne, à l'instar de l'Agence spatiale européenne?

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