mercredi 25 janvier 2017

Mad Max dans le désert de l'Antarctique (3/5)

Troisième volet d'une série de cinq textes de Didier Schmitt parus ou à paraître dans le quotidien "La Tribune". (cf. première partie ICI et deuxième partie LA)
Crédit photo : IPEV - Didier SCHMITT
Les opinions exprimées dans l'article ci-dessous sont uniquement celles de l'auteur.

Mad Max dans le désert de l'Antarctique (3/5) 


« S'il fallait trouver un titre cinématographique à cette partie de l'expédition, ce serait 'Mad Max: furie blanche'. Après une semaine de préparatifs le convoi de 160 tonnes de matériel est enfin prêt à affronter le désert blanc. Les tracteurs à chenille sont gigantesques et leurs traineaux ne le sont pas moins, à rendre jaloux le Père Noël. L'enchaînement, au propre comme au figuré, des véhicules évoque la solidarité qui va nous lier dans les semaines à venir. C'est aussi une sorte de cordon ombilical, car notre mission est de ravitailler en vivres, matériel technique et en carburant la base scientifique la plus recluse de la planète. »
C'est la technicité logistique qui différencie les pays présents en Antarctique. Seul quelques-uns se sont dotés de moyens permanents de survie en milieu si hostile. Et parmi ceux-là seuls les Etats-Unis, la Russie et le couple franco-italien ont la capacité de maintenir une station dans la durée au milieu du continent antarctique. Au-delà de la zone littorale, les autres pays se limitent à des séjours de seulement quelques mois par an, ce qui réduit fortement la collecte des données scientifiques.

Une logistique bien rodée

Les acheminements vers les stations ne sont possibles que durant l'été austral. Le reste du temps c'est l'isolement absolu. Une course de vitesse s'engage dès que la fragmentation de la banquise permet à l'Astrolabe de débarquer sa cargaison sur la base côtière de Dumont D'Urville, en Terre Adélie. C’est depuis la base annexe qui vient d'être baptisée "Station Robert Guillard" que se prépare dans la foulée un convoi exceptionnel unique en son genre. La caravane comprend des modules "vie" composés d’une cuisine, salle à manger, dortoirs, sanitaires et d'un container "énergie" où est également fondue la neige pour l’eau potable. C'est la grappe des citernes de fuel de 24 m3 chacune qui est le plus impressionnant. Tous ces éléments sont montés sur skis à la file indienne.

Un savoir-faire français

Parmi tous les aspects de la campagne d'été, le Raid est véritablement la plus grande originalité de cette aventure, qui en soit est déjà hors norme. Aucun autre pays que la France n'a développé une compétence aussi pointue. Ceci fait la grande différence avec les bases russe (Vostok) et américaine (au Pôle Sud[V1] ). Il aurait été trop risqué et compliqué d'en faire de même à Concordia, d’où le choix des traversées terrestres lourdes. Imaginez faire Strasbourg-Brest lors de la dernière période glaciaire! Cette prouesse est l'œuvre de l'Institut polaire français Paul-Emile Victor. C'est en effet l’héritage des expéditions de l'explorateur du même nom. Sous l'impulsion de ces hommes exceptionnels, le premier hivernage français à l'intérieur du continent – à 320 km de la côte et 2400 m d'altitude – a pu se faire dès 1957, sur une base éphémère nommée Charcot. Elle fut spécialement construite pour l'année géophysique internationale.

Xtreme

Une fois l'excitation du départ retombée, il règne une atmosphère surréelle, voire extra-terrestre. Les horizons tendent vers l'infini et le soleil en fait le tour dans une grande oscillation sans jamais toucher terre. On est loin de la course effrénée du dernier Mad Max qui a été tourné juste à côté; le désert australien n'est qu'à 3000 km… Ici il s'agit plutôt d'une épreuve d'endurance, à 12 km/h. De plus, l'ennemi est invisible: le froid et le voile blanc qui est une pulvérisation de glace pouvant empêcher de voir, même ses pieds. Moins on s'attarde et mieux c'est, car un blizzard peut faire chuter la température à -50°C et la situation deviendrait très vite critique car à une telle température les carburants se figent. Sans compter que les crevasses ne sont pas toujours visibles bien que le tracé ait été affiné à l'aide de satellites d'observation spécialement programmés.

Le plat pays

D'énormes dameuses ouvrent la voie, suivies par le cortège tout aussi démesuré. La pente n'est pas perceptible mais elle est bien là car, mine de rien, onze jours plus tard la colonne a gravi 3233 m pour atteindre la base franco-italienne Concordia. A peine arrivée la 'chenille' est démantelée par les fourmis – les occupants de la base – qui la délestent minutieusement de toutes les fournitures pour les stocker dans leur tanière. Le choix de cet endroit – Dôme C – a été déterminé par les glaciologues afin de réaliser des carottages au sommet d’un dôme où les glaces s'écoulent radialement vers les côtes.

Rester inexploité

Nous avons peuplé tous les continents, à l'exception de celui-ci. Il y a des raisons à cela. Dans le cercle polaire nord les Inuit vivent de la chasse et de la pêche. Mais ici, au Sud, aucun animal ne s'aventure au-delà d'une mince frange côtière, car la seule source de nourriture se trouve dans l'océan. Les températures allant jusqu'à -90°C ne permettent à aucun écosystème de s'y développer. Grâce à ces nombreuses difficultés qui en limitent l'accès, ce continent à la chance de rester intact encore pour quelques temps. C'est un combat permanent de laisser les choses ainsi, car l'appétit de nos sociétés consommatrices est sans pitié.

[V1]Les russes font des raids un peut archaïques, les US s'y mettent


Article publié surhttp://www.latribune.fr/opinions/tribunes/mad-max-dans-le-desert-de-l-antarctique-3-5-629096.html

Retrouvez Didier Schmitt sur ses Blogs :
http://blogs.esa.int/concordia/category/didier-schmitt/
http://sciencebusiness.net/news/80038/My-journey-to-the-bottom-of-the-world
Twitter : @didier_schmitt

Prochain article à paraître: Base Antarctique Concordia: passerelle entre Terre et Ciel (4/5)

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